source: VIH.org
La ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, a indiqué ce mercredi 9 octobre, qu’environ 6 200 nouvelles personnes ont découvert leur séropositivité en 2018 en France. Un chiffre en légère baisse (-7%), alors qu’il était stable depuis 2010. Un mieux, probablement lié à la PrEP, mais pas une révolution.
«C’est la première fois depuis plusieurs années qu’il y a une diminution du nombre de personnes qui se contaminent», s’est félicitée la ministre sur France Info. C’est effectivement ce qu’annonce Santé publique France, avec un bémol de taille néanmoins: Si le nombre total de découvertes de séropositivité a diminué de façon significative entre 2017 et 2018 (-7%), après plusieurs années de stabilité, cette diminution très récente devra être confirmée avec le recul d’une année supplémentaire. Ce qui veut dire que si la tendance est à la baisse, l’ampleur et la nature précise de cette baisse doit être encore clarifiée. une tendance nationale à la baisse qui reste modeste, logique puisque les nouveaux diagnostics reflètent les infections survenues depuis quelques années à un moment où le paradigme de la prévention combinée n’était pas déployée.
Pour l’agence, comme l’activité de dépistage est en augmentation, cette diminution du nombre global de découvertes peut refléter une baisse du nombre de personnes vivant avec le VIH précédemment non diagnostiquées, et/ou une diminution de l’incidence —du nombre de contaminations et non de découvertes— depuis plusieurs années.
Une baisse globale récente, mais la diminution du nombre de découvertes est par contre observée depuis plusieurs années chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) de 25 à 49 ans nés en France, et chez les hommes hétérosexuels de 25 à 49 ans, qu’ils soient nés en France ou à l’étranger. Le nombre de découvertes diminue également chez les femmes hétérosexuelles nées en France.
Les chiffres 2018 du VIH par Santé publique France
Que nous disent les chiffres? 6155 personnes précisément ont découvert leur séropositivité en France l’an dernier, contre 6583 en 2017. Le chiffre pour 2017 a été affiné par rapport à l’estimation fournie lors du précédent bilan fin mars, qui était de 6.400. Cette diminution fait bien suite à plusieurs années de stabilité.
Comme les années précédentes, les taux de découvertes de séropositivité sont très variables sur le territoire français; ils sont beaucoup plus élevés dans les départements français d’Amérique, notamment en Guyane, ainsi qu’en Ile-de-France pour la métropole.
Par mode de contamination, les personnes ayant découvert leur séropositivité en 2018 ont été contaminées par rapports hétérosexuels (56%), rapports sexuels entre hommes (40%), usage de drogues injectables (2%), ou un autre mode de transmission (2%). Les hommes ont été contaminés majoritairement par rapports sexuels entre hommes (61%).
En 2018, les femmes représentent 35% des découvertes de séropositivité VIH. Elles ont été contaminées par rapports hétérosexuels pour 96% d’entre elles.
Des dépistages précoces, mais pas assez
Les diagnostics précoces, identifiés par un profil virologique de séroconversion, un stade clinique de primo-infection ou un test d’infection récente positif, représentent toujours 25% des découvertes chez les adultes en 2018, une proportion stable par rapport aux années précédentes, dans toutes les populations étudiées.
La part des diagnostics précoces varie selon le mode de contamination et le pays de naissance. Elle est plus élevée chez les HSH : 42% chez ceux nés en France, 26% chez ceux nés à l’étranger. Chez les hétérosexuels elle est deux fois plus élevée parmi ceux nés en France (31% chez les femmes, 27% chez les hommes) que parmi ceux nés à l’étranger (13% chez les femmes, 14% chez les hommes), et chez les UDI elle est plus faible (8%).
A l’autre bout du spectre, la part des diagnostics tardifs, au stade sida ou à moins de 200 CD4, stagne à 29%. C’est encore énorme, alors qu’ils contribuent beaucoup, avec les primo-infections, à la circulation du virus.
Le nombre de diagnostics de sida en 2018 est estimé à 1205. Ce nombre a diminué entre 2013 et 2018 (-24%). Parmi les personnes âgées de 15 ans et plus diagnostiquées avec un sida en 2018, la majorité d’entre elles (63%) ignoraient leur séropositivité, et donc n’avaient pu bénéficier de traitements antirétroviraux (ARV) avant le sida, et 19% connaissaient leur séropositivité mais n’avaient pas été traitées par ARV. Seuls 18% avaient reçu des ARV, et avait donc bien sûr une charge virale non contrôlée.
L’effet TasP et la PrEP explique cette baisse
Cette tendance nationale à la baisse reste modeste, ce qui peut sembler logique puisque les nouveaux diagnostics reflètent les infections survenues depuis quelques années, à un moment où le paradigme de la prévention combinée n’était pas déployée.
Difficile de quantifier les causes de cette baisse. L’augmentation du dépistage précoce semble indiquer un renforcement de l’effet Tasp, l’effet Traitement comme prévention. On sait désormais qu’une personne traitée, avec une charge virale indétectable ne risque pas de transmettre le VIH à ses partenaires. Mais beaucoup reste à faire pour bénéficier du plein effet du Tasp : En 2018, les personnes présentant une charge virale élevée (≥ 100 000 copies/ml) au moment de la découverte représentent 38% des découvertes (44% chez les HSH, 35% chez les hétérosexuels et 32% chez les UDI). Autant de cas où les risques de transmission sont augmentés.
Le déploiement de la Prep joue aussi un rôle dans cette amélioration, même si tant reste à faire pour améliorer son accessibilité. Les derniers chiffres encourageants à Paris, où le nombre de prépeurs est important, ainsi que la baisse du nombre de découvertes de contaminations chez les HSH confirment l’intérêt de cette méthode de prévention.
Le recours aux préservatifs n’est pas détaillé dans ces chiffres. Difficile, en tout cas, de mettre en avant un effet lié aux préservatifs remboursés, la nouvelle mesure n’a été effective qu’en novembre 2018. Nous devrions être en mesure de mesurer son impact en 2020.
Une baisse timide et inégale
Peut-on se réjouir? Evidemment. Doit-on rester prudent? Tout autant. Cette baisse globale de 7% pour la dernière année recouvre des réalités bien différentes et les données sont assez difficiles à interpréter. Beaucoup de déclarations fournies électroniquement sont encore incomplètes et le mode de transmission et le pays de naissance des cas déclarés sont donc des données imputées —estimées— pour la majorité des cas. Le BEH indiquait ainsi en 2017 que le taux de données imputées pour ces 2 variables était estimé à 60%.
D’autre part, la tendance à la baisse, légère, est notable depuis plusieurs années chez les personnes déclarant des rapports hétérosexuels, ce qui souligne probablement l’effet préventif du traitement chez les personnes vivant avec le VIH.
Par classe d’âge, 13% des personnes ayant découvert leur séropositivité sont âgées de moins de 25 ans, 64% de 25 à 49 ans et 23% de 50 ans ou plus. Chez les HSH nés en France et les hommes hétérosexuels nés en France ou à l’étranger, la diminution depuis 2013 n’est observée que chez les 25 à 49 ans. Cette stabilité chez les moins de 25 ans et chez les plus de 60 ans souligne cruellement l’absence de campagne publique de prévention et d’incitation au dépistage, alors que ces mêmes populations ne se retrouvent quasiment pas dans les essais et les programmes de Prep.
Enfin comment expliquer le différentiel entre -16% de nouvelles contaminations à Paris et -7% au niveau national? Faisons-nous face, en France, comme aux USA, à une épidémie «rurale» ou des petites villes, mal connue, et entretenue par une inégalité face à l’accès aux nouvelles méthodes de prévention et de dépistage?
De la même façon, Santé publique France insiste sur le fait que la diminution du nombre de découvertes de séropositivité VIH ne concerne ni les femmes hétérosexuelles nées à l’étranger, ni les HSH nés à l’étranger. Chez ces femmes, la vulnérabilité liée au parcours migratoire les expose au VIH et elles bénéficient peu du Tasp à cause du dépistage tardif chez leurs partenaires masculins. Chez les HSH nés à l’étranger, le recours au dépistage pourrait avoir augmenté ces dernières années mais il reste tardif. Et leur accès à la PrEP est encore bien insuffisant. La situation épidémiologique des migrants appelle une action déterminée en termes de dépistage et d’accès aux soins et à la PrEP qui ne peut qu’être contrecarrée par les discours ambiants de stigmatisation, les politiques de plus en plus drastiques contre leur présence sur le territoire et le déni des droits fondamentaux.
Les données régionales qui seront publiées fin novembre seront très intéressantes pour comprendre les tendances actuelles de l’épidémie selon la mobilisation des acteurs au niveau régional et local.