Source : CourrierInternational.com
S’installer à l’étranger peut être compliqué quand on est porteur du VIH. Singapour, les Émirats arabes unis ou encore la Russie figurent parmi les pays qui restreignent toujours les droits des expatriés séropositifs.
À la suite d’une fuite de données médicales à Singapour, 14 200 résidents ont vu leur statut de porteurs du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) révélé publiquement. Parmi eux, 8 800 étrangers, signale le South China Morning Post. Dans un pays où la maladie est encore stigmatisée, il leur est impossible de rester plus de quatre-vingt-dix jours, à moins d’être marié à un natif. Mais Singapour n’est pas le seul État à interdire les séjours de longue durée aux étrangers séropositifs. La Russie et les Émirats arabes unis, notamment, imposent les mêmes restrictions. Au total, 35 pays ont édicté des restrictions en la matière, selon un rapport de l’Onusida, un programme coordonnant les actions des différentes agences des Nations unies visant à lutter contre la pandémie. L’ONU estime qu’il s’agit là d’une violation des droits humains.
Des restrictions pas toujours explicites
L’épidémiologiste américaine Jessica Keralis formule une mise en garde : Les politiques réellement mises en œuvre peuvent être différentes des informations que les pays diffusent officiellement dans un contexte diplomatique.”
Certains États n’ont pas de règles écrites en la matière, mais dans les faits les discriminations existent : les visas peuvent être annulés par les employeurs, il est très difficile de trouver une assurance qui prenne en compte le traitement antirétroviral, etc. Des réalités susceptibles d’affecter toutes les personnes séropositives, “qu’il s’agisse de cols blancs, de travailleurs migrants ou d’étudiants”.
David Haerry, qui a publié en 2018 une base de données mondiale sur les restrictions liées au VIH et relatives aux voyages et aux séjours, décrit les situations auxquelles sont confrontés les porteurs du virus concernés par ce type de restrictions :
Souvent, les personnes [envoyées à l’étranger pour travailler] n’ont pas connaissance [de ces restrictions] et tombent dans le piège : si vous ne le savez pas et si vous devez subir un test alors que vous êtes à l’étranger, vous risquez d’être renvoyé chez vous pour raison de santé et votre entreprise sera informée. C’est un gros problème.”
David Haerry relève aussi une inquiétude croissante chez les étudiants. Dans les pays où les restrictions ne sont pas suffisamment explicites, les conséquences du dépistage obligatoire ont de fait de quoi inquiéter.
Des avancées législatives limitées par des clichés qui perdurent
Les autorités de ces pays continuent d’appliquer ces lois par “convention historique, par idéologie ou encore par passivité”, explique Eamonn Murphy, chargé de la région Asie-Pacifique à l’Onusida. “De nombreuses restrictions nationales sont des vestiges des années 1980, avant que la transmission de la maladie soit comprise et que les traitements antirétroviraux et les médicaments quotidiens capables de prévenir sa propagation soient largement disponibles.”
Ces réglementations ont parfois évolué, notamment après la campagne menée en 2008 par l’Onusida contre les 59 gouvernements qui interdisaient à l’époque aux séropositifs l’entrée sur leur territoire. La Chine, la Corée du Sud et les États-Unis, notamment, ont changé leurs législations en 2010.
La stigmatisation sociale est encore présente dans certaines cultures. Selon Peter Wiessner, coauteur de la base de données mondiales, “à l’origine des discriminations, il y a les fausses idées et la peur, le VIH étant systématiquement associé à la consommation de drogue, aux hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes et à toutes les réalités que les pays ne veulent pas affronter”.D’après les experts, beaucoup des pays les plus conservateurs en la matière sont situés au Moyen-Orient.
Pour l’épidémiologiste Jessica Keralis, ces pratiques contribuent à ancrer dans les esprits de dangereuses contre-vérités : Elles véhiculent l’idée que le sida est une épidémie qui vient de l’étranger, qui concerne des étrangers, et que si [les citoyens] évitent de fréquenter des étrangers ils n’encourent aucun risque. Ils ne sont pas incités à s’informer davantage ni à modifier leurs comportements.”