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Source: Le Monde

Sida, les nouvelles armes de l’Afrique (6). La mesure de la charge virale dans le sang permet de vérifier l’efficacité du traitement et de savoir quand le malade devient non contaminant.

Tous vous le diront, c’est un monde qui vacille. Les réactions sont similaires : un vertige, suivi d’une angoisse, d’un déni, puis, parfois, une colère sourde. Sylvie ne fait pas exception. Elle aussi est passée par chacune de ces émotions lorsqu’on lui a annoncé sa séropositivité.

Présentation de notre série Suivez notre série Sida, les nouvelles armes de l’Afrique

Dépistée en 2008, à l’âge de 30 ans, elle était sûre de voir sa vie détruite. Elle a d’abord refusé d’y croire. Pendant quatre ans. Sa santé déclinant, elle a fini par accepter. « Je devais continuer ma vie et je voulais être mère, alors j’ai commencé à suivre le traitement antirétroviral (ARV) jusqu’à avoir une charge virale quasiment indétectable, confie-t-elle. Alors seulement je me suis autorisée à faire mon premier enfant. » Aujourd’hui, en novembre 2018, Sylvie en a trois, tous séronégatifs. A Bujumbura, capitale du Burundi où elle habite, sa vie de famille est presque banale. « Je fais juste attention de ne pas laisser les autres membres utiliser les mêmes objets tranchants que moi et je les sensibilise aux voies de contamination du VIH », poursuit-elle.

« Course contre la montre »

Si Sylvie a pu retrouver sa vie, c’est grâce à une avancée scientifique majeure : la mesure de la charge virale. Ce test, généralisé en France et en Europe à la fin des années 1990, n’était pas accessible il y a encore dix ans aux pays africains les plus touchés par la pandémie. Grâce à deux machines, il permet de mesurer la quantité de virus par millilitre de sang et la progression de l’infection dans l’organisme. Surtout, il offre un aperçu précis de l’efficacité des antirétroviraux sur les patients, révélant les échecs thérapeutiques, dont la résistance à certaines molécules. Ce suivi était impossible avec la méthode antérieure, qui mesurait les cellules coordonnant le système immunitaire mais pas le taux de virus dans le sang.

Au Burundi, le projet OPP-ERA, soutenu par le consortium français rassemblant Sidaction, Solthis, l’ANRS, Expertise France, et financé par Unitaid en étroite collaboration avec le ministère de la santé publique et de la lutte contre le sida, a permis l’installation de quatre laboratoires afin de généraliser la mesure de la charge virale depuis 2014. Un projet qui est aussi développé au Cameroun, en Guinée et en Côte d’Ivoire.

Episode 1 Du sexe et des tests pour les prostituées de Ouaga

Cet outil fait espérer au Burundi d’approcher l’un des trois objectifs de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à l’horizon 2020 : celui d’avoir 90 % des personnes traitées avec une charge virale durablement réduite. Aujourd’hui, 61 000 patients sont sous ARV, mais moins de la moitié ont eu accès à la mesure régulière de leur charge virale. « Nous n’avons pas encore dépassé les 40 %, explique Francine Karemera, coordinatrice médicale d’OPP-ERA. Mais si l’on poursuit nos efforts, il n’est pas impossible d’atteindre 80 % d’ici à 2020. C’est une course contre la montre ! »

Ce retard, l’Etat burundais en est conscient. « Nous avons établi un mécanisme de suivi des populations à risque en mettant à profit ces appareils afin de leur en faciliter l’accès », avance Richard Manirakiza, directeur adjoint du Programme national de lutte contre le sida. Déclaré « problème de santé publique » en 1983, le VIH a depuis perdu du terrain au Burundi. En 2017, une étude nationale affichait un taux de personnes contaminées (prévalence) à 0,9 %. Mais la maladie reste importante parmi les populations à risque comme les travailleuses du sexe, les homosexuels, les pêcheurs, les mineurs et les routiers, atteignant parfois une prévalence de plus de 20 %.

« Profonde injustice »

Emmanuel appartient à cette catégorie. Ancien chauffeur de poids-lourds de 61 ans, il a appris en 2010 qu’il avait « la maladie ». Son état était grave. Il ne pesait que 30 kg quand on l’a dépisté. Les ARV l’ont sauvé d’une mort certaine. Aujourd’hui, à l’ombre d’un appentis du service VIH du plus grand hôpital du pays, il semble avoir retrouvé son énergie d’avant. Il la met à profit des autres patients en les traquant jusque chez eux quand ils arrêtent leur traitement. Ces « non-observants » manquent souvent à l’appel faute de moyens pour faire le voyage. Emmanuel a donc créé une caisse commune où chaque patient verse 500 francs burundais (0,25 euro) par visite afin de payer le transport aux moins fortunés. Mais parfois, les non-observants abandonnent le traitement par découragement ou scepticisme.

Episode 3 Comment la circoncision a conquis l’est et le sud de l’Afrique dans la lutte contre le VIH

C’était le cas de Frank, 20 ans, né avec le VIH : « J’avais 17 ans quand on m’a dit que j’étais séropositif. Ça été très difficile à accepter. Longtemps je me suis demandé si c’était ma faute. Je ressentais une profonde injustice, alors je me suis tourné vers la religion. Un pasteur m’a dit que Dieu me guérirait du sida. Mon état se détériorait. Pendant un an j’y ai cru, avant d’être hospitalisé. Désormais, je prends mes cachets tous les jours. Ici ce n’est pas le VIH qui tue mais l’ignorance. »

A 180 km au nord-est de la capitale, la ville de Muyinga s’étale sur des collines vert tendre. C’est dans son petit hôpital que l’un des quatre laboratoires du projet OPP-ERA a été installé : un extracteur chargé de récupérer le matériel génétique du virus puis de la fixer dans des cartouches. Le dispositif peut aussi être utilisé pour détecter des hépatites. Une fois extrait, le matériel génétique doit être amplifié dans un thermocycleur à 95 °C pendant une heure quarante-huit très précisément afin de le rendre mesurable. S’il y a moins de mille copies de virus par millilitre de sang, la charge du patient est considérée comme indétectable. Il peut alors avoir des relations sexuelles non protégées et avoir des enfants sans plus risquer de transmettre la maladie.

Episode 4 Un cachet révolutionnaire pour protéger les jeunes Kényanes très exposées au VIH

Chaque machine peut traiter douze échantillons par jour. Quand il y en a plusieurs, comme à l’hôpital de Bujumbura, on peut atteindre 180 par semaine. « Avant le travail était bien plus manuel et fastidieux. On ne dépassait pas 30 échantillons par semaine »,explique Désiré Nisubiri, technicien formé dans le cadre du projet. Avoir quatre laboratoires dans différentes régions du pays permet aussi de réduire les risques liés au transport. « Parfois le sang coagulait à cause de la durée du trajet ou les échantillons étaient perdus car les camions n’étaient pas sécurisés », se souvient ainsi la docteure Olive Niyonkuru, chargée du service VIH à l’hôpital de Bujumbura.

« Ici c’est l’ignorance qui tue »

Si la province de Muyinga a été sélectionnée pour y établir l’un de ces labos, c’est qu’ici, le sida est « un gros souci », soutient le médecin Kwanza Georges, chargé des patients VIH de l’hôpital de la ville. Il évoque la situation sécuritaire qui a vu dès 2006 l’établissement de camps de déplacés, notamment congolais, mais, surtout, la proximité de la Tanzanie, à une dizaine de kilomètres de la ville. Et comme toutes les zones frontalières, la région attire des populations à risque tels les camionneurs et les prostituées.

L'infirmier Serge Rubeeiry et son supérieur devant le poste de santé de Kinazi à quelques kilomètres de la frontière tanzanienne, Burundi, 7 novembre 2018.

L’infirmier Serge Rubeeiry et son supérieur devant le poste de santé de Kinazi à quelques kilomètres de la frontière tanzanienne, Burundi, 7 novembre 2018. Matteo Maillard

A Kinazi, dernier poste de santé avant la Tanzanie, sur 73 patients VIH, 50 sont des femmes, dont de nombreuses travailleuses du sexe. « C’est une population pauvre, rurale, soutient Serge Rubeeiry, infirmier. Le sexe tarifé apparaît comme un moyen de s’en sortir. Alors nous faisons de la prévention et distribuons des préservatifs. Mais il arrive que les clients, des routiers, paient mieux si les femmes acceptent sans. »

Episode 5 Au Mozambique, des tests high-tech pour dépister le VIH chez les bébés

Manori, 22 ans, s’exprime d’une voix timide. Voilà quatre ans qu’elle exerce. Son mari l’ignore. « Je n’ai pas encore fait le dépistage mais je pense être exposée alors je suis venue pour prendre des médicaments post-exposition, glisse-t-elle. Je crains avoir été contaminée car ces derniers jours j’ai eu des rapports sans préservatif. Mon stock était épuisé et je suis très sollicitée par mes clients. C’est difficile de refuser quand on a besoin d’argent. » L’infirmier tente de la convaincre de faire le test. Elle refuse, préfère ne pas savoir. Il semble dépité, hausse les épaules. Les mots de Frank reviennent à l’esprit. « Ici ce n’est pas le VIH qui tue, mais l’ignorance. » La lutte risque d’être encore longue.

Cet article fait partie d’une série réalisée dans le cadre d’un partenariat avec Unitaid.

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