Source : Seronet
Des prévalences élevées et des dépistages insuffisants… c’est la conclusion que tirent les auteurs de l’AfroBaromètre 2016, qui a pour objectif de décrire les comportements sexuels et préventifs des populations afro-caribéennes vivant en Ile-de-France et de mesurer les prévalences observées des infections VIH et VHB dans ces populations. Le recours au dépistage apparaît insuffisant tant vis-à-vis de l’infection VIH que de l’infection VHB. Il apparaît essentiel d’élargir l’offre de dépistage au-delà des structures actuelles de dépistage, et de favoriser la diffusion et l’utilisation de tests rapides d’orientation diagnostique combinant dépistage du VIH et des hépatites B et C associées à une information et un counseling clairs et adaptés, précisent les auteurs (1).
Quel est le contexte ?
Plus d’une personne immigrée sur deux née en Afrique subsaharienne vite en Ile-de-France (2). La population née en Afrique subsaharienne vivant en France représente près d’un tiers des 6 000 personnes ayant découvert leur séropositivité VIH en 2015 et 21 % de la population générale atteinte de l’hépatite B en 2004 (3). Un premier AfroBaromètre a été réalisé en 2011 permettant un état des lieux des connaissances, attitudes et comportements. Ce premier travail recommandait une « adaptation des messages de prévention ». Par ailleurs, ces dernières années, il y a eu une évolution rapide du contexte de la prévention du VIH (la Prep, par exemple) et des hépatites B et C. On a avancé sur la prévention diversifiée associant mesures comportementales, différentes stratégies de dépistages (TROD, autotests…) et traitement antiviral ou antirétroviral.
Quels objectifs ?
L’AfroBaromètre 2016 a pour objectif de décrire les comportements sexuels et préventifs des populations afro-caribéennes vivant en Ile-de-France et de mesurer les prévalences observées des infections VIH et VHB dans ces populations.
Quelle méthode ?
Il s’agissait d’une enquête anonyme. Elle a été réalisée entre mai et juillet 2016 à Paris et dans des communes de la petite couronne et de la grande couronne franciliennes. L’enquête a été réalisée par l’insitut BVA et l’association Afrique Avenir (membre du Raac-sida). Elle a été conduite dans les lieux communautaires dits ouverts (comme des marchés, des gares, etc.) et fermés (salons de coiffure, salles des fêtes, boîtes de nuit, lieux de culte, etc. Pas de sélection des personnes participantes qui devaient juste avoir 18 ans et avoir donné leur accord pour participer. L’enquête a associé un auto-prélèvement sanguin sur papier buvard pour recherche des anticorps anti-VIH, de l’Ag HBS (antigène du VHB) et de l’Ag de capside du VHC (qui détecte l’hépatite C) et un questionnaire socio-comportemental avec notamment des infos sur le comportement sexuel et préventif des douze derniers mois et les attitudes vis-à-vis du VHI, du VHB et du VHC. Il n’y avait pas de rendu individuel des résultats. Une pochette de prévention était remise à chaque personne participante.
Quels résultats ?
Sur les 4 105 personnes éligibles sollicitées, 31 % ont accepté de participer. Le taux de participation variait selon le lieu des interventions : de 24 % dans les salons de coiffure à 41 % dans les lieux de culte. Au total, 1 283 participants ayant un auto-questionnaire complété et un test sérologique interprétable ont été inclus dans l’analyse. C’était majoritairement des hommes (62 %). Ils résidaient surtout dans la petite (42 %) et la grande couronne (40 %). Nés principalement (64 %) en Afrique subsaharienne, 31,5 % étaient nés en métropole ou dans les DOM-TOM. Ils étaient 46 % à avoir fait des études supérieures et 45 % à avoir un emploi, sans différence selon le sexe. Les femmes déclaraient plus souvent poursuivre des études (23 % vs 11 % pour les hommes) tandis que les hommes étaient plus souvent au chômage (25 % vs 16,5 % pour les femmes). Parmi les personnes de nationalité étrangère dont le statut administratif avait pu être déterminé (731 personnes), la précarité de la situation administrative touchait 26 % d’entre elles, sans différence significative selon le sexe (hommes : 27 % ; femmes : 24 %).
Le renoncement aux soins dans les douze derniers mois touchait 22 % des participants, ce pourcentage augmentant en fonction du statut d’emploi (emploi : 17 % ; étudiants : 22 % ; chômeurs : 32 % ; au foyer : 37 %) et de la situation administrative (nationalité française 12 % ; séjour stable : 25 % ; séjour précaire : 39 %). Globalement, 17 % des répondants n’avaient pas eu de partenaires sexuels dans les douze derniers mois, plus souvent les femmes (21,5 %) que les hommes (14 %). Plus souvent multipartenaires, les hommes déclaraient une utilisation du préservatif plus fréquente que les femmes multipartenaires (respectivement, 75 % et 64 %). Les rapports entre personnes de même sexe concernaient 16 % des hommes et 18 % des femmes. Il s’agissait de bisexualité dans 78 % des cas.
Quels dépistages ?
La majorité (66 %) des participants déclarait avoir fait un test VIH dans douze mois et 15 %, il y a plus d’un an. Parmi les 850 personnes ayant fait un test VIH dans les 12 derniers mois, 52 % (441personnes) étaient des multipartenaires (essentiellement, des hommes ayant des rapports sexuels avec des femmes uniquement (53,5 %) ou avec des hommes (18 %). Moins d’un tiers (28 %) des participants avaient réalisé un test de dépistage de l’hépatite B dans les douze mois et près d’un quart (24 %), l’avait réalisé il y a plus d’un an.
Les données sur le VIH
La prévalence de l’infection par le VIH observée au sein de l’échantillon était de 1,6 %. Elle variait peu en fonction du sexe, du pays de naissance et du nombre de partenaires sexuels dans les douze derniers mois, mais elle variait selon l’âge des répondants (<34 ans : 1 % ; ≥34 ans : 2,5 % ; p = 0,02). Chez les hommes, la prévalence observée était significativement plus élevée parmi ceux qui, au cours des douze mois, avaient eu des rapports sexuels uniquement avec des hommes (15 %) comparés à ceux ayant eu des rapports avec des hommes et des femmes (2 %) ou à ceux n’ayant eu des rapports qu’avec des femmes (1,5 %). Parmi les 21 participants testés VIH positifs (16 hommes, 5 femmes), 14 étaient nés en Afrique subsaharienne, cinq en France métropolitaine ou dans les DOM, un en Haïti et un dans un autre pays. Tous étaient infectés par un VIH-1 groupe M sauf un infecté par VIH-2. Le diagnostic d’infection VIH était connu par 13 d’entre eux (neuf hommes, quatre femmes). Parmi les huit qui ignoraient leur diagnostic (sept hommes, une femme), quatre déclaraient avoir été testés dans les douze mois, aucun n’avait de test évocateur d’infection récente.
Les données sur le VHB
La prévalence observée de l’AgHBs était de 5,1 %. Les facteurs indépendamment associés à la positivité de l’AgHBs étaient le fait d’être un homme, d’être né dans un pays d’Afrique sub-saharienne, d’avoir un faible niveau d’études, d’être au chômage et d’avoir renoncé aux soins dans les douze mois. Parmi les 66 participant-e-s positifs pour l’AgHBs, 26 (39 %) déclaraient n’avoir jamais été testés pour l’hépatite B et ignoraient leur statut, 25 (38 %) l’avaient été (dont 17 dans les douze mois) et semblaient avoir mal compris leur diagnostic et 15 (23 %) connaissaient leur diagnostic.
Les analyses des données
Réalisée à partir d’un échantillon de convenance (libre participation), les résultats de l’enquête ne peuvent pas être généralisés à l’ensemble de la population afro-caribéenne d’Ile-de-France, expliquent les auteures de l’étude. « Néanmoins, de par la diversité de des sites de recrutement [de l’étude], il a été possible de « capter » des populations habituellement peu représentées dans les études comme les hommes ayant des relations sexuelles [HSH] avec d’autres hommes qui constituent 14 % des hommes de l’échantillon et qui ont été pour moitié recrutés en milieu ouvert. En effet, très peu d’HSH originaires d’Afrique subsaharienne ou des Caraïbes ont été inclus dans les enquêtes telles que Prevagay 2015 (…). »
Ça pèche pour les dépistages
« Le recours au dépistage du VIH des répondants est près de deux fois plus fréquent en 2016 qu’en 2011 [9]. Si on ne peut pas exclure que ce recours ait augmenté depuis 2011 sous l’impulsion du dépistage communautaire, il est peu probable qu’il ait doublé entre les deux périodes dans la population (…) Quoiqu’il en soit, malgré ce recours élevé, une part des personnes testées séropositives méconnaissaient leur statut ». De fait, il est probable que les recommandations de la Haute Autorité de Santé en faveur d’un dépistage annuel pour les personnes originaires d’Afrique subsaharienne et des Caraïbes soient insuffisantes pour au moins une partie d’entre elles, en particulier, les hommes hétérosexuels. Dans notre enquête, cinq des neuf hommes hétérosexuels testés VIH positifs ignoraient leur statut alors même que trois d’entre eux avaient réalisé au moins un test dans les douze mois et que deux n’avaient jamais été testés. Un dépistage VIH pluriannuel pour les personnes afro-caribéens pourrait être recommandé, si l’on veut atteindre, comme pour les HSH, le premier objectif de l’Onusida », expliquent les auteurs de l’étude.
Le recours au dépistage apparait insuffisant tant vis-à-vis de l’infection VIH pour laquelle 40 % des personnes atteintes ignoraient leur diagnostic que vis-à-vis de l’infection VHB dont le diagnostic était méconnu par 77 % des personnes porteuses de l’AgHBs. Aussi, il apparait essentiel d’élargir l’offre de dépistage au-delà des structures actuelles de dépistage et de favoriser la diffusion et l’utilisation de tests rapides d’orientation diagnostic combinant dépistage du VIH et des hépatites B et C associées à une information et un counseling clairs et adaptés, concluent les auteurs.
Selon eux, l’AfroBaromètre 2016 montre que les populations afro-caribéennes restent une population prioritaire de la lutte contre le sida. La prévalence observée parmi les HSH appelle à des mesures urgentes en direction de cette population longtemps invisibilisée. Si l’arrivée des Trod VIH a permis d’accroitre le dépistage parmi cette population, l’hépatite B est aussi un enjeu de santé publique majeur tant en termes de dépistage que de prise en charge.
A noter que des analyses biologiques complémentaires sont en cours pour préciser la prévalence du VHC parmi les personnes participantes à l’AfroBaromètre 2016.
(1) : Infections VIH et VHB parmi les Afro-Caribéens d’Île-de-France : des prévalences élevées et des dépistages insuffisants par Christine Larsen, Frédérike Limousi, Delphine Rahib, Francis Barin, Stéphane Chevaliez, Gilles Peytavin, Romain Mbiribindi, Nathalie Lydié.
(2) : Brutel, 2016, INSEE RP, 2012.
(3) : Meffre et al., 2010.
Source : Infections VIH et VHB parmi les Afro-Caribéens d’Île-de-France : des prévalences élevées et des dépistages insuffisants // HIV and HBV infections among Afro-Caribbeans living in the greater Paris area: high prevalence and very poor screening
Christine Larsen1 (christine.larsen « @ » santepubliquefrance.fr), Frédérike Limousi1, Delphine Rahib1, Francis Barin2, Stéphane Chevaliez3, Gilles Peytavin4, Romain Mbiribindi5, Nathalie Lydié1
1 Santé publique France, Saint Maurice, France
2 Université François-Rabelais, Inserm U966 ; CHU Bretonneau, Centre national de référence du VIH, Tours, France
3 Inserm U955, Centre national de référence des hépatites B, C et Delta, CHU Henri-Mondor, Créteil, France
4 APHP, CHU Bichat-Claude Bernard ; IAME, Inserm UMR 1137, Université Paris Diderot – Sorbonne Cité, Paris, France
5 Association Afrique Avenir, Paris, France