source : vih.org
Le 20e congrès de la Société Française de lutte contre le sida (SFLS) s’est ouvert ce jeudi 24 octobre à La Rochelle, avec pour mot d’ordre: «Innover au-delà des 3 x 90». Alors qu’une baisse significative —mais modeste au regard d’autres pays ou villes— du nombre des nouvelles contaminations est observée en France, comment aller plus loin, vers l’éradication du VIH ou au moins le contrôle de l’épidémie? Les objectifs de l’Onusida pour mettre fin à l’épidémie sont-ils suffisants dans le contexte français? Le 90-90-90 est-il un but en soi ?
Les premières séances plénières de congrès sont souvent difficiles, parce que tôtives, et parce qu’il faut mettre la machine en route. Heureusement, la présentation de Mariam Roncato-Sabéran (Centre Hospitalier de La Rochelle), co-présidente du Congrès, a réveillé les participants encore ensommeillés. Avec beaucoup d’humour et sans reprendre son souffle, à la manière de Questions pour un champion, la praticienne a remercié ses équipes et dénoncer le manque de moyens, et donné le ton d’un congrès qui a choisi d’interroger l’objectif «3 x 90» initié par l’Onusida: 90% de personnes qui connaissent leur statut sérologique, 90% bénéficiant d’un traitement, et 90% avec une charge virale indétectable, pour leur bénéfice direct et celui de l’élimination du risque de transmission. Soit 73% des personnes vivant avec le VIH (en prenant en compte l’épidémie masqué), mis sous traitement avec une charge virale indétectable.
Gwenaël Le Moal (CHU Poitiers), son co-président, a commencé par rappeler toutes les transformations que la lutte contre le VIH avait provoquées, du patient expert et la déclaration de Denvers en 1983 —«Rien sans nous pour nous»— , jusqu’à la déclaration de Doha qui déclarait la primauté du soin sur les brevets, en passant par la création de l’ANRS, agence unique au monde. Le VIH a transformé les systèmes de santé, sous l’impulsion des personnes atteintes, des activistes et des professionnels de la médecine.
Et pour la première fois en France, les chiffres produits par Santé publique France commencent —un peu— à refléter les forces investies dans ces années de luttes. Florence Lot a présenté de nouveau pour Santé publique France, les derniers chiffres de l’épidémie en France, connus depuis la conférence de reconstitution du Fonds mondial à Lyon les 9 et 10 octobre derniers.
Pour la première fois, une baisse de 7% du nombres des contaminations a été constatée entre 2017 et 2018. A Paris, cette baisse est même de 16%, portée essentiellement par les HSH nés en France (- 28 %). Le nombre de dépistage est en hausse en 2018, avec 5,8 millions de test de dépistage réalisés, soit une augmentation de 11% depuis 2013. Le nombre de sérologies positives n’augmente pas, en revanche, ce qui laisse supposer à la fois, l’élargissement du dépistage dans les populations moins exposées, et aussi, une baisse du nombre de personnes vivant avec le VIH dans les populations les plus exposées.
Une baisse notable en France, mais un enthousiasme à tempérer
La médecin de Santé publique France nuance une fois encore ces résultats: Malgré la déclaration obligatoire, les nouveaux cas découverts sont sous-déclarés, que ce soit par les biologistes des laboratoires (68% des cas déclarés en 2017) ou par les praticiens (41% déclarés); Sans que l’on sache s’il s’agit d’une lassitude, indéfendable, des biologistes et des cliniciens ou si le nouveau mode de déclaration obligatoire en ligne a accru cette sous-déclaration. En 2018, la situation devrait un peu s’améliorer, mais de peu, avec respectivement 74% et 52% des cas déclarés. Les données sont donc corrigées, fortement, et notablement sur deux variables essentielles: le mode de transmission et le pays d’origine. Beaucoup d’acteurs de la lutte contre le sida se désolent de cette faiblesse épidémiologique, alors que des chiffres précis et récents sont essentiels à la mise en place de politiques pertinentes.
Concernant les populations, la baisse la plus notable est constatée chez les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH) et les personnes exposées par un rapport hétérosexuel, toutes nées en France. Cette amélioration est à mettre au crédit de l’effet protecteur du traitement comme prévention, et des quelques milliers de personnes sous Prep, quand bien même ce chiffre reste grandement insuffisant.
Pourtant, cette baisse est bien faible comparée à d’autres pays, comme le Royaume-Uni, ou des villes comme San Francisco (- 52%, où pour la première fois le nombre de décès est supérieur au nombre de nouveaux diagnostics) mais aussi Londres (-44 %) ou Nice (-52 %), villes ou pays qui comme la France suivent l’objectif de l’Onusida des «3 x 90» et ses 73% de personnes vivant avec le VIH avec une charge virale indétectable. Dans sa présentation, l’épidémiologiste Virginie Supervie (Institut Pierre Louis d’Epidémiologie et de Santé Publique, UMR-S 1136 INSERM & Sorbonne Université, Paris) a montré que la France a atteint cet objectif, avec 74% des personnes atteintes traitées et indétectables. Pourquoi, alors, sommes-nous encore si loin de l’élimination du VIH?
Modéliser l’élimination
Techniquement, la fin de l’épidémie est considérée atteinte sous plusieurs conditions. Rappelons que l’élimination n’est pas l’éradication, qui est elle la réduction à zéro de l’incidence, dans le monde entier, avec une interruption complète de la transmission et une extinction de l’agent causal, afin qu’il n’existe plus dans l’environnement (les mesures d’intervention ne sont plus nécessaires et il n’y a plus de nouvelles contaminations). Dans le cas des maladies infectieuses, l’élimination est la réduction de l’incidence, jusqu’à ce qu’elle soit nulle, d’une infection causée par un agent spécifique dans une zone géographique délimitée à la suite d’efforts délibérés, mais exigeant tout de même des efforts continus d’intervention.
Dans le modèle mathématique, pour le VIH, l’élimination est considérée atteinte quand l’incidence (le nombre de nouveaux cas pour une population donnée) baisse jusqu’à 1 pour 1000 par an, et que le nombre de contaminations «générées» par une personne vivant avec le VIH au cours de l’infection (donc de la vie pour les personnes non dépistées et non traitées) —aussi appelé R0— est inférieur à 1 (il est actuellement évalué entre 2 et 5), brisant ainsi les chaînes de transmission du virus.
Revenons au «3 x 90». Il n’existe pas de modèle mathématique qui prouverait l’efficacité de cette stratégie. En revanche, des modèles mathématiques concernant l’Afrique du Sud, le Royaume-Uni et l’Australie nous permettent d’arriver à la même conclusion: l’élimination du VIH (la baisse de 80% des nouvelles contaminations dans le cas du modèle australien) ne pourra survenir que si le délai entre l’infection et la mise sous traitement est inférieur à un an.
En France, clairement, c’est là que le bât blesse. Le délai moyen entre infection et dépistage reste beaucoup trop important : il est de plus de 3 ans en moyenne. Des progrès ont été faits pour accélérer ensuite l’accès à un traitement, et le délai entre dépistage et prise du traitement est désormais de 1 mois pour les HSH contre 10 mois auparavant.
Pour Virginie Supervie, l’élimination de la transmission du VIH ne pourra donc pas se faire sans atteindre ces objectifs spécifiques: la réduction des délais entre infection et prise d’un traitement efficace pour les personnes vivant avec le VIH actuellement sans traitement et le contrôle de la charge virale chez les personnes sous antirétroviraux.
Certains ont donc décidé de dépasser les «3 x 90». La ville de Washington souhaite ainsi atteindre les «3 fois 95 + 50», en s’imposant en outre une baisse de 50% du nombre des nouvelles contaminations.
Des connaissances mal… connues
Les nouveaux objectifs que la France devra se fixer pour dépasser les «3 x 90» seront, nous n’en doutons pas, tout aussi difficiles à atteindre. Surtout quand les perceptions liées au VIH n’ont pas progressé aussi vite que la science, comme l’a rappelé la présentation de Philippe Adam (directeur de l’Institute for Prevention and Social Research (IPSR) à Utrecht et Bangkok, Senior Research Fellow at UNSW Sydney).
Dans le cadre de l’enquête PREPARE réalisée en Australie, bientôt publiée, seul 39% des HSH savaient que les traitements efficaces prévenaient la transmission du VIH. Même chez les personnes vivant avec le VIH, le traitement est considéré comme «plutôt» efficace, alors que les études PARTNER ont montré une efficacité de 100%. Seuls 31,9% des HSH séronégatifs étaient disposés à utiliser un jour la Prep, et seuls 50% d’entre eux étaient prêts à avoir des rapports avec des personnes sous Prep. Chez les hétérosexuels, la situation est encore pire, la méconnaissance des dernières avancées concernant le VIH est abyssale.
Pour le chercheur, la mise en place de la Prep et la vulgarisation des progrès concernant le traitement comme prévention doivent s’appuyer sur des outils de sciences comportementales, au risque de rester l’apanage d’une minorité informée. Comme depuis le début de l’épidémie, la lutte contre le VIH ne saurait être que médicale, si on veut s’autoriser enfin à rêver d’un monde sans sida.